Biens communs et surconsommation
Usuellement, on dénombre quatre types de défaillances du marché :
- La concurrence imparfaite
- L’asymétrie d’information
- Les externalités
- La sous-production des biens publics et la surconsommation des biens communs.
Examinons ce que sont ces biens communs et en quoi leur consommation est supérieure à ce qu'elle serait si la loi du marché s'appliquait.
Les biens communs
Les biens communs sont des ressources naturelles ou culturelles à la disponibilité de tout le monde.
Ce sont des biens rivaux : si l’un d’eux est consommé par un individu, il ne l’est pas par un autre, contrairement aux biens publics. Par exemple, si quelqu’un coupe un arbre dans la nature pour se chauffer de son bois, plus personne ne pourra faire de fagots de ses branches pour les brûler.
La surconsommation
En raison de l’accessibilité et de la gratuité du bien commun, chacun peut en consommer à volonté, et sans doute plus que nécessaire. Notre exemple du bois de chauffage et celui du surpâturage expliquent la désertification, passée, présente et à venir, de nombreuses régions du globe.
Le concept de la « tragédie des communs » a été popularisé par le biologiste Garrett Hardin en 1968. Il décrit une situation où des individus, agissant de manière indépendante et rationnelle selon leur propre intérêt, finissent par épuiser une ressource commune au détriment de l'intérêt collectif. Ce phénomène est typique lorsque l'accès aux ressources est libre et non régulé, incitant chaque utilisateur à maximiser son bénéfice personnel sans considération pour les autres.
L’exemple de la surpêche est emblématique. Les ressources halieutiques sont souvent considérées comme des biens communs. Des usines flottantes et leurs filets dérivants ont un accès libre aux eaux internationales et pêchent sans restriction. Cependant, l’absence de régulation conduit à une surpêche puisque chacun cherche à maximiser ses captures sans se soucier de l'impact sur les stocks de poissons. Ceux-ci peuvent s'épuiser, entraînant des conséquences écologiques néfastes et la perte de moyens de subsistance pour les pêcheurs à long terme.
- Sur les 100 millions de tonnes de poissons pêchées chaque année entre 2005 et 2015, près de 10 millions de tonnes de poissons, morts ou en passe de mourir, ont été rejetés à la mer. (…) Les flottes de la pêche industrielle renvoient à l'eau de manière systématique les poissons abîmés, malades, trop petits, ou ceux qu'ils ne sont pas autorisés à pêcher. (Le Figaro, 26 juin 2017).
Précisons que la gestion des espèces marines n'est pas une problématique récente. Déjà au dix-septième siècle, le chalutage était très réglementé afin qu'il ne détruise pas les alevins et les frayères des côtes françaises.
La surconsommation de biens communs dépasse largement le cadre économique puisque la déforestation due à l’agriculture, l’exploitation forestière et l’urbanisation joue un rôle nuisible sur le climat. Elle entraîne aussi des ruissellements, cause de coulées de boue meurtrières qui font place à des sols lessivés sur lesquels les arbres ne repoussent plus. Difficile d’imaginer, en parcourant les paysages du Proche-Orient d’aujourd’hui, que c’était la principale zone d’exportation de bois au temps de l’Empire romain (bois de cèdre, en particulier).
La consommation de biens communs est aussi une cause de troubles géopolitiques, en particulier lorsqu’un pays situé en amont d’un fleuve capte une grosse partie de son eau ou le pollue.
L’ironie, c’est que les pouvoirs publics incitent parfois à utiliser les ressources de façon intensive lorsque leur coût d’exploitation est faible et les bénéfices élevés.
Ajoutons que la démographie mondiale exerce une pression croissante sur les ressources de la planète. La demande accrue en nourriture, eau, énergie et biens de consommation accentue la compétition pour l'accès aux biens communs, conduisant souvent à leur surexploitation.
Enfin, il ne faut pas limiter la surconsommation aux ressources naturelles. La capacité des réseaux mobiles et la bande passante d’Internet sont aussi des ressources limitées ! Si pour une raison ou une autre un très grand nombre d’utilisateurs envoient des messages en même temps, le réseau est bloqué ! C’est d’ailleurs le principe de l’attaque par déni de service, bien connue en cybersécurité : une utilisation abusive du serveur d’un site web le fait planter.
Solutions
Pour remédier à la surexploitation des biens communs, plusieurs approches peuvent être mises en œuvre, combinant des stratégies de régulation, de coopération et de gestion durable.
- La réglementation : les pouvoirs publics peuvent intervenir en mettant en place des politiques de développement durable. Cela inclut la mise en place de quotas de pêche, de lois sur la déforestation, de réglementations sur la pollution et de politiques de gestion de l'eau. Les réglementations doivent être accompagnées de mécanismes de surveillance et de sanctions pour assurer leur respect.
- La Coopération Internationale est souvent nécessaire pour aborder les défis globaux liés aux biens communs. Les accords internationaux, tels que l'Accord de Paris sur le climat ou les conventions sur la biodiversité, fournissent des cadres pour la coopération et la coordination des efforts à l'échelle mondiale. Les initiatives collaboratives entre gouvernements, entreprises, organisations non gouvernementales et communautés locales peuvent également renforcer les capacités de gestion et de conservation des ressources communes.
- La clarification des droits de propriété peut contribuer à une gestion plus durable des biens communs. Dans certains cas, la reconnaissance des droits des communautés locales sur les ressources peut encourager une gestion plus responsable et équitable. Les systèmes de gestion communautaire, où les utilisateurs locaux participent activement à la prise de décisions et à l'application des règles, ont montré leur efficacité dans la préservation de leurs ressources. La politologue et économiste américaine Elinor Ostrom, « prix Nobel » en 2009, qui a consacré sa carrière à l'étude des biens communs plaide pour une imbrication des solutions à tous les niveaux : local, régional, national et global.
- Les incitations économiques peuvent servir à exploiter certaines ressources de façon raisonnée. Les marchés de permis, tels que les permis de pêche ou les crédits carbone, permettent de limiter l'exploitation des ressources tout en créant des incitations financières pour réduire l'impact environnemental. Des subventions et des incitations fiscales peuvent également encourager les pratiques durables.
- L’éducation et la sensibilisation sont essentielles pour promouvoir une compréhension des enjeux liés aux biens communs et encourager les comportements responsables. Les programmes scolaires et les campagnes de sensibilisation peuvent aider à renforcer la conscience environnementale et à mobiliser les communautés pour la protection des ressources.