Les défis de la croissance

Défis sociaux et écologiques

Le terme de croissance a une connotation positive ; il est associé à une idée de prospérité. Pourtant, la croissance du PIB ne crée pas que du bonheur ! On ne peut ignorer qu’elle entraîne aussi son lot de problèmes économiques, sociaux et surtout écologiques.

 

Destruction créatrice

Les innovations se traduisent par des progrès qui rendent obsolètes les technologies plus anciennes. C’est particulièrement frappant à notre époque. Dans un passé récent le numérique a considérablement modifié le visage de tous les secteurs économiques, depuis le rapport au travail jusqu’à la qualité de la production elle-même. Actuellement, le développement rapide de l’IA bouscule les professions intellectuelles jusqu’ici épargnées.

Il s’agit d’un processus « darwinien » inhérent au capitalisme qui voit disparaître les entreprises qui ne s’adaptent pas. Cette destruction est le prix à payer pour qu’à long terme perdure la croissance, dont le moteur est bien l’innovation.

L’économiste américain Joseph Schumpeter l’a montré dans les années 40 :

L’histoire de l’équipement d’une ferme typique (…) ne diffère pas de l’histoire de l’équipement productif de l’industrie métallurgique, depuis le four à charbon de bois jusqu’à nos hauts fourneaux contemporains, ou de l’histoire de l’équipement productif d’énergie, depuis la roue hydraulique jusqu’à la turbine moderne, ou de l’histoire des transports, depuis la dilligence jusqu’à l’avion. L’ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives (…) constituent d’autres exemples du même processus de mutation industrielle (…) qui révolutionne incessamment de l’intérieur le structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de Destruction Créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme. (Joseph Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot 1984, première édition française en 1951). Ci-dessous, portait de Schumpeter réalisé par le logiciel d’IA Ideogram.

Schumpeter

Brevets

L’une des conséquences est que les États, quand ils le peuvent, cherchent à promouvoir l’innovation qui non seulement procure un avantage concurrentiel à court terme mais constitue une condition de survie de leur économie nationale. Il faut créer pour ne pas être détruit.

En France, l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle) promeut l’innovation et reçoit les dépôts de brevets.

https://www.inpi.fr/

Le brevet protège l’innovation contre les copies, en général pendant vingt ans, évitant ainsi de décourager les inventeurs qui, en l’absence de protection juridique, verraient le fruit de leur découverte leur échapper.

 

Conséquences sociales

Intéressons-nous davantage à la destruction qu’à la création. Elle est bien perçue par une partie de la population, celle qui aura du mal à se reconvertir et qui craint le chômage...

Ce rejet ne date pas d’hier. L’industrie textile, notamment, a connu au dix-huitième siècle des révoltes parfois meurtrières, notamment contre la navette volante et son inventeur, John Kay, mort ruiné. Mais prenons un exemple encore plus ancien.

En 1598, un gradué de l’Université de Cambridge, William Lee, invente le métier à tricoter les bas (…). Machine qui tend à donner une allure capitalistique à un secteur du textile qui ne l’est pas encore. Machine surtout qui risque de diminuer l’emploi. C’est bien ce que l’on craint, et son auteur, impopulaire, doit se réfugier en France. Encouragé par Henri IV, il s’établit à Rouen avec neuf ou dix ouvriers. Mais après la mort du roi, Lee devenu aussi impopulaire en Normandie qu’en Angleterre (…) doit se réfugier à Paris, où il meurt misérablement (F. Mauro et P. Wolff, L’Homme et ses métiers vol. 2, l’Âge d’or de l’artisanat, Nouvelle librairie de France, 2000).

On relève dans cet extrait les deux conséquences que nous avons évoquées : le rejet par la profession et le soutien de l’État.

Ce même rejet a fait trembler Hollywood qui a connu en 2023 une grève d’une durée particulièrement longue. L’une des principales causes était le risque que couraient les scénaristes, acteurs et cascadeurs de perdre leur emploi à cause de l’IA.

N’oublions pas une autre conséquence d’ordre économique : si les progrès permettent de réduire les coûts, la demande peut s’élargir. Pour rester dans l’histoire de l’industrie textile, l’inventeur lyonnais Joseph Marie Jacquard évita une révolte des canuts contre les conséquences de sa machine à tisser (qui fut la première machine programmable de l’Histoire) en les convainquant qu’avec la baisse des coûts de production, répercutée sur le prix de vente de la soie, la consommation allait augmenter. Et donc qu’il y aurait du travail pour tous.

 

Inégalités de revenus

Le progrès engendre-t-il des inégalités de revenus ? Oui et non. Certains perdent leur emploi ou n’arrivent pas à se former aux nouvelles technonogies. D’autres travaillent dans des secteurs de pointe qui peuvent redistribuer de confortables bénéfices à leurs salariés. D’une façon générale, le progrès technologique s’accompagne d’une montée des qualifications qui profite aux professions supérieures.

Globalement, cette redistribution des cartes génère donc des inégalités quoique sur une très longue période, le fossé entre plus riches et plus pauvres soit difficilement comparable. Ce qui est certain, c’est que grâce aux progrès technologiques la quasi-totalité de la population profite de meilleures conditions de vie. À la fin du dix-neuvième siècle, seuls les plus riches bénéficiaient de l’électricité à leur domicile.

ampoule

 

Conséquences écologiques

La croissance peut donc durer pendant des siècles… mais pas l’éternité.

On appelle soutenable la croissance qui n’hypothèque pas l’avenir au bénéfice du présent.

On peut difficilement nier que l’épuisement des ressources, la pollution et le réchauffement climatique sont les conséquences désastreuses de l’activité humaine (externalités négatives).

Certes, certaines ressources n’ont pas attendu la Révolution industrielle pour s’épuiser. Nous pensons au bois, disparu de nombreuses parties du monde depuis l’Antiquité (voire le Néolithique). En effet, lorsque la végétation disparaît, l’eau de pluie ruisselle en entraînant la couche superficielle de la terre riche en nutriments. Toute repousse d’arbres devient impossible.

Nous pensons aussi aux espèces animales éteintes pour cause de chasse intensive, y compris par des peuples disposant d’armes rudimentaires. Exemple : les moas étaient des oiseaux de Nouvelle-Zélande incapables de voler. Selon les espèces, ils pesaient de 12 à 250 Kg. Cette ressource de viande (pour employer un vocabulaire économique) fut exterminée lorsque les ancêtres des Maoris débarquèrent dans l’archipel au onzième siècle.

Aujourd’hui, dans le monde, la plupart des dirigeants politiques et de multinationales ont pris conscience de l’urgence à protéger le capital naturel, bien que les impératifs de réélection ou d’enrichissement prévalent encore souvent sur les considérations écologiques. Le réchauffement climatique engendre des recompositions de toute sorte (vagues migratoires, remplacement des cultures, élévation du niveau de la mer…) tandis que la pollution génère de véritables catastrophes sanitaires. Il est déjà recommandé de ne pas abuser de la consommation de poissons situés en haut de la chaîne alimentaire (thons, saumons…) en raison de leur concentration en métaux lourds. Par ailleurs, \(99\%\) de la population mondiale respire un air qui dépasse la limite de pollution fixée par l’OMS.

Est-ce le prix à payer pour que perdure la croissance ? Les avis divergent car les luttes contre la pollution et le réchauffement peuvent aussi créer de la valeur. Ainsi les énergies renouvelables constituent-elle un secteur économique particulièrement porteur.

Attention toutefois à ne pas se voiler la face. Si les pays producteurs doivent assumer les externalités négatives des pays consommateurs, la planète n’y gagne rien. Exemple : Un véhicule particulier équipé d’un moteur à combustion interne nécessite en moyenne 23 kg de cuivre, contre 60 kg pour un véhicule hybride rechargeable (PHEV) et 83 kg pour un véhicule entièrement électrique. À cela s’ajoute le poids des chargeurs, qui contiennent entre 0,8 kg et 8 kg de cuivre pour les modèles les plus rapide (l’Actu Pro, novembre 2023). Concrètement, moins de pollution dans les pays qui utilisent des véhicules électriques mais beaucoup plus dans l’air et les fleuves du Chili, principal producteur mondial de cuivre…

 

tué par le progrès