Les institutions

Rôle économique des institutions

Pourquoi a-t-il existé de longues périodes sans développement économique ? Pourquoi certains pays restent pauvres quand d’autres décollent ? Si l’on se place dans une perspective historique, il apparaît que des éléments extérieurs à la sphère économique stricto sensu sont moteurs.

Ce sont les institutions.

 

Les institutions

L’économiste américain Douglass North, prix « Nobel » d’économie en 1993, décédé en 2015, a influencé notre compréhension du rôle des institutions dans le développement économique.

Que sont-elles ?

Ce sont des règles du jeu qui, dans une société donnée, façonnent les comportements économiques et sociaux des individus et des organisations. Formelles ou informelles, elles organisent la vie économique, politique et sociale. Elles permettent aussi de comprendre les dynamiques de développement.

Dans son ouvrage phare publié en 1990, Institutions, institutional change and economic performance, North souligne que les institutions évoluent sous les effets conjugués des interactions sociales, des changements technologiques et des conflits d’intérêt. En retour, elles jouent un rôle en façonnant les choix et les comportements.

Il distingue deux types d’institutions.

  • Les institutions formelles sont codifiées par la loi et la réglementation (et notamment par la structure des droits de propriété). Des sanctions existent en cas de manquement. Ainsi North a montré que si la Révolution industrielle a eu lieu en Angleterre, c’est parce qu’une législation sur les droits de la propriété intellectuelle a incité les entrepreneurs à innover.

    Restons dans ce contexte historique pour montrer que les lois sur la liberté de circulation illustrent elles aussi l’importance des institutions formelles. Depuis l’époque élisabéthaine, chaque paroisse devait s’occuper de ses pauvres. Par conséquent, les indigents qui arrivaient dans un village étaient aussitôt renvoyés d’où ils venaient. Une loi de 1795 retira aux paroisses le droit de se débarrasser des pauvres afin de favoriser la mobilité de la main d’œuvre. « La loi du domicile, déclara William Pitt à la Chambre des Communes, empêche l’ouvrier de se rendre sur le marché où il pourrait vendre son travail aux meilleures conditions, et le capitaliste d’employer l’homme compétent, capable de lui assurer la rémunération la plus élevée pour les avances qu’il a faites » (cité par C. Fohlen, L’Homme et ses métiers vol. 3, Nouvelle librairie de France, 2000).

  • Les institutions informelles sont des normes sociales, des coutumes, des tabous, des conventions non écrites… Dans les affaires, la confiance est une qualité non écrite mais indispensable.

 

Impacts sur le développement économique

Selon North, les institutions jouent un rôle crucial dans le développement économique car elles créent un environnement favorable à l’investissement, à l’innovation et à l’échange. L’élément essentiel est qu’elles réduisent les incertitudes et les risques : les brevets protègent les inventions des copies, les labels apportent une information aux consommateurs, la signature engage son signataire, etc.

Mais les règles doivent être bien conçues. Des textes mal pensés se traduisent par des effets pervers (inefficacité, corruption…). Souvent ils ont pour but le maintien au pouvoir d’une oligarchie ou d’une aristocratie. Les schémas sociaux sont eux aussi souvent des freins. Ainsi, jusqu’à la Révolution française, les plus fortunés étaient des nobles qui méprisaient les affaires alors qu’ils auraient été les mieux placés pour investir et amorcer une croissance économique.

Une institution peut aussi s’avérer trop pesante, trop bureaucratique, et finalement décourageante. Dans l’Angleterre du dix-huitième siècle, toutes les inventions améliorant les techniques de filature et de tissage profitaient à l’industrie du coton ; les secteurs de la laine et du lin étaient trop codifiés pour accueillir les innovations (parmi d’autres raisons).

Ainsi le développement économique durable doit reposer sur la stabilité politique, la primauté du droit, la concurrence sur les marchés et la protection des droits de propriété. Les institutions peuvent encourager l’accumulation de capital, la spécialisation, l’adoption de nouvelles technologies…

Remarquez que les institutions sont un concept global, dont le progrès technologique n’est que l’une des conséquences. La théorie de North élargit donc celle de Schumpeter en amont des causes de la croissance.

Notez aussi qu’elle s’oppose à la théorie néo-classique puisque le développement n’est pas seulement considéré comme une conséquence naturelle d’intérêts personnels. North les considère néanmoins comme essentiels.

Les institutions sont indispensables mais elles ne sont pas gratuites. Par exemple, pour une entreprise, les rémunérations des comptables, des juristes, des manageurs… sont liées aux institutions. On les appelle coûts de transaction.

 

L’importance de l’Histoire et du contexte culturel

North insiste sur l’importance de l’Histoire et du contexte culturel dans la formation des institutions.

Celles-ci sont souvent le produit d’un long processus, façonné par les interactions entre acteurs politiques, économiques et sociaux au fil des années. C’est pourquoi les lois qui fonctionnent à tel moment dans tel pays peuvent ne pas être applicables ailleurs. Les différences culturelles, historiques ou géographiques en sont les causes.

 

Les changements institutionnels

Les périodes de crise (politique, économique ou sociale) ou même de simples perturbations sont propices aux changements institutionnels. Les anciennes normes sont alors remplacées par de nouvelles.

Prenons pour exemple de crise les confinements liés à la pandémie de Covid 19. Quels changements ont-ils provoqués ? En voici cinq parmi d’autres…

  • La flexibilité du travail : de nombreuses organisations ont adopté le télétravail, ce qui a entraîné des changements dans la façon de fonctionner au quotidien (management, travail d’équipe…).

  • Les politiques de santé et de sécurité : bien sûr, les restrictions ont été importantes durant la pandémie. Mais certaines habitudes perdurent dans les hôpitaux et quelques productions de médicaments ont été relocalisées.

  • L’éducation : elle s’est beaucoup appuyée sur l’apprentissage en ligne. Depuis, les cours en distanciel sont entrés dans les mœurs, en particulier dans l’enseignement supérieur.

  • Des secteurs restent en crise : en raison d’une prise de conscience de la difficulté des conditions de travail, la main d’œuvre se détourne désormais de certains secteurs, notamment la restauration qui peine à recruter.

  • Des marchés bousculés : de nombreux véhicules neufs n’ayant pu être livrés, le marché de l’occasion a vu ses prix grimper. Ce n’est qu’en 2024 qu’il est redevenu cohérent avec le passé.

Quand on parle de périodes de crise, il faut aussi comprendre les conséquences des bouleversements technologiques. Par exemple, la fin du Moyen Âge a été marquée par une intense activité économique. L’invention de l’imprimerie a notamment permis de codifier bon nombre de corporations dont les règles étaient auparavant orales. Ce changement institutionnel a contribué à la spécialisation de la production. Ici ou là, le métier d’armurier se scindait désormais en fabricants d’épées, de cuirasses, d’arbalètes…

forgeron

 

L’exemple des marchés

Les marchés sont typiquement des institutions. Tenons-nous en aux biens et services.

Ce sont certes des institutions formelles car les marchés sont soumis au Code de commerce et à de très nombreux textes. À titre d’exemple, les pouvoirs publics imposent aux vendeurs des obligations d’information pour guider les choix des acheteurs : composition et origine de produits alimentaires, consommation d’énergie, puissance d’un moteur sont autant de critères de choix qui nous sont habituels. Mais si nous disposons de ces informations, ce n’est pas parce que des producteurs veulent nous faire plaisir !

Ce sont aussi des habitudes, parfois très différentes d’un pays à l’autre et qu’il est indispensable de connaître lorsqu'on travaille dans le commerce international.

 

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