Loisirs et différences de pratiques culturelles
Comment expliquer les différences de pratiques culturelles ? Cette ambitieuse question ouvre de vastes perspectives de réflexion…
Avant d’y répondre (très partiellement), nous retiendrons quelques définitions de la culture, puis des pratiques culturelles.
La culture
Au dix-neuvième siècle, on opposait la culture à la nature. Cette dernière englobe l’animal et, par extension, les instincts les plus « primitifs » des humains. Au contraire, la culture nous rend plus évolués : langue, sciences, arts, spiritualité, etc. Cette notion fait partie des programmes de philosophie en terminale. Aujourd’hui, on sait que certains animaux développent eux aussi des cultures (par exemple certains groupes de chimpanzés se transmettent des savoir-faire de génération en génération que ne connaissent pas d’autres groupes géographiquement éloignés).
La notion de culture « savante » est un peu plus ancienne. Elle oppose l’individu cultivé (incollable sur l’art contemporain, les meilleurs millésimes et l’Antiquité gréco-romaine) à l’inculte (celui qui regarde une émission de télé-réalité en grignotant ses chips).
La culture au sens ethnologique s’oppose à la précédente car elle considère que chaque ethnie a la sienne propre, qui n’est ni supérieure ni inférieure aux autres.
Enfin, au sens sociologique, la culture soude un groupe d’individus. C’est un facteur de socialisation fondé sur des connaissances, des normes et des valeurs. Certaines normes sont partagées par de très grands groupes (par exemple l’ensemble du monde occidental), d’autres par de très petits (par exemple une forte culture d’entreprise dans une TPE).
Les pratiques culturelles
Les ménages consomment de plus en plus de biens et services liés aux loisirs, qui ne cessent de se diversifier. Leur analyse, statistique puis économique ou sociologique, repose sur la notion de pratique culturelle. Celle-ci doit donc être bien définie.
Selon le ministère de la Culture, ce sont les pratiques en amateur, les sorties culturelles et les loisirs plus « passifs » que sont l’image (TV), le son (musique) et l’écrit (lecture). Les pratiques en amateur sont celles où l’individu est l’acteur de son loisir : danse, photo, pratique d’un instrument de musique… Les sorties culturelles sont la fréquentation des cinémas, des théâtres, des concerts, des musées…
Note : selon certains manuels scolaires et ouvrages parascolaire, la définition de l’INSEE serait très différente car elle engloberait aussi d’autres activités, notamment sportives, de bricolage et d’autres. Or, lorsqu’on se rend sur le site de l’INSEE, on constate qu’il est toujours question de pratiques culturelles ET sportives (la chasse étant considérée comme un sport). En fait, la définition de l’INSEE est très voisine de celle du ministère de la Culture.
On remarque que la notion de culture est celle qui véhicule des normes (donc, au sens sociologique). À titre d’exemple, toute lecture est considérée comme une pratique culturelle, même s’il s’agit de livres de bricolage ou de romans à l’eau de rose qui n’entrent pas dans la définition de la culture « savante ».
Certains messages culturels sont largement diffusés par les médias de masse (mass medias). On parle alors de culture de masse. Des traits culturels aussi différents que les canons de beauté féminine ou le rejet des régimes totalitaires sont véhiculés chaque jour par la presse, plus ou moins implicitement.
Les différences de pratiques culturelles
Non seulement la diversité des loisirs est énorme mais chacun a sa propre représentation de ce qu’un loisir doit être. En effet, selon sa sensibilité, un individu peut s’étonner que ce qui lui répugne soit considéré par son prochain comme un loisir. Le marathon : est-ce un loisir de souffrir ? Et la chasse : est-ce un loisir de tuer ? Et s’occuper d’un site web pédagogique comme celui-ci : est-ce un loisir de se prendre la tête ?
Mais peut-être sommes-nous programmés pour préférer tel type de loisir à tel autre…
Il existe en effet des pratiques sociologiquement très dissemblables. Certes, les différences de loisir entre hommes et femmes tendent doucement à s’atténuer. Mais celles qui sont liées à la classe sociale et à l’âge restent au contraire criantes. Sans parler des différences liées au lieu de résidence, au niveau d’instruction, aux origines et à la taille de la famille.
Le sociologue Pierre Bourdieu a analysé les pratiques selon les classes sociales. Nombreuses sont les pratiques « légitimes », c’est-à-dire conformes à une classe en particulier (la Distinction, 1979). Elles proviennent de l’habitus. Il s’agit d’une disposition de l’esprit qui a germé durant l’enfance par imprégnation du milieu ambiant. Elle influence nos goûts sans que nous en ayons toujours conscience. On les nomme pratiques consonantes.
Réciproquement, un groupe social s’attend à ce que ses membres choisissent leurs loisirs parmi les pratiques consonantes. Ces dernières sont bien des éléments de distinction des classes sociales.
Certes, un certain éclectisme culturel tend à s’imposer : des ouvriers pratiquent le golf et les jeunes favorisés écoutent du rap. Tout se mélange plus ou moins, même si des habitudes subsistent. Pourquoi ? Parce que les vecteurs de socialisation se sont multipliés. Jadis limités à la famille et aux institutions religieuses, elles se sont d’abord étendues avec les journaux et l’école au dix-neuvième siècle, avec la radio et la télévision au siècle suivant et aujourd’hui avec les blogs et les réseaux sociaux. Autre élément, la progression de l’individualisme est une tendance depuis plusieurs décennies et l’une de ses conséquences est que nous cherchons aujourd’hui à nous réaliser plutôt qu’à nous conformer à tout prix aux codes d’un groupe.
Malgré cet éclectisme, il subsiste une véritable culture populaire (qu’il ne faut pas confondre avec la culture de masse !). Elle s’oppose à la culture savante. Notez bien qu’il n’existe aucun lien avec les capacités intellectuelles : il n’est pas plus difficile de retenir le nom des empereurs romains que ceux des Simpson.
Un même loisir est souvent pratiqué de façon différenciée : les quotidiens ont plutôt des lecteurs alors que les romans sont davantage appréciés des lectrices, les goûts musicaux sont bien segmentés entre les générations, etc.
Un domaine particulièrement intéressant est celui de la culture d’écrans. En effet, une part croissante du temps libre nécessite des écrans, dénominateur commun d’un ensemble de pratiques assez diverses. Distinguons la télévision des « nouveaux écrans » (ordinateurs, smartphones, tablettes, consoles…).
Le téléviseur est le seul appareil dont le taux d’équipement des classes populaires est supérieur à celui des classes aisées. Par ailleurs, la télévision est davantage regardée par les seniors que par les jeunes. Comme le constate l’INSEE, elle remplace souvent les sorties et, d’une manière générale, les autres loisirs (les « téléphages » ne font pas grand-chose d’autre que regarder la TV).
En revanche, les « nouveaux écrans » sont plébiscités par les jeunes et les classes aisées en sont davantage équipées que les autres. Contrairement à la télévision, ils ne cannibalisent pas les autres loisirs : les groupes sociaux qui sont souvent connectés à Internet sont aussi ceux qui lisent et sortent le plus.
La culture reste donc un marqueur social important mais attention à ne pas tout expliquer par les déterminismes.
Étude du ministère de la Culture :
http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/08resultat.php
Étude de l’INSEE :
http://insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&id=2741