Représentations des organisations
Étudier les organisations, c’est comme démonter un moteur. Tout semble logique jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’on a oublié une pièce.
Depuis plus d’un siècle, des chercheurs ont tenté de résoudre cette énigme : comment les entreprises peuvent-elles être plus efficaces, plus productives et mieux coordonnées ? Ainsi, des réflexions sont nées dans le contexte très particulier de la révolution industrielle et de la production de masse.
Remontons le temps pour retracer les grandes étapes des théories des organisations et quelles en ont été les implications sur le contrôle de gestion.
Première théorie : l’approche rationnelle et productive
Au début du vingtième siècle, le monde industriel est en pleine mutation. C’est le début de la production de masse. Objectif prioritaire : produire plus, plus vite, à moindre coût.
À partir des années 1880, Frederick Taylor, ingénieur américain, fonda l’organisation scientifique du travail (OST) où chaque geste du travailleur était chronométré, ses gestes inutiles supprimés et les méthodes standardisées. Pour ce faire, le travail était découpé en tâches élémentaires, chaque ouvrier étant spécialisé dans un fragment du processus. La hiérarchie supervisait (voir l'organisation du travail).

Henri Fayol, ingénieur français, s’intéressa à la direction des entreprises et les définit en cinq grandes fonctions : prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler. C’est lui qui introduisit la fonction de contrôle comme élément central du management.
Cette première approche repose sur quelques grands principes.
- Les économies d’échelle : produire en grande quantité pour réduire les coûts unitaires.
- La standardisation : uniformiser les produits et les méthodes pour gagner en efficacité.
- La division du travail : spécialiser les tâches pour augmenter la productivité.
- Le contrôle : mesurer la performance, comparer aux normes et corriger les écarts.
Pour résumer, l’entreprise est vue comme une machine : chaque poste est une pièce du mécanisme et le rôle du manageur est de s’assurer que tout tourne rond.
Le contrôle de gestion, apparu dans les années 1930, s’inscrit d’abord dans cette logique. Il sert à mesurer les coûts et les performances pour assurer la maîtrise de la production. Les méthodes de calcul des coûts, de budgets et d’analyse des écarts sont issues de cette vision.
Mais cette approche a aussi ses limites : elle considère les travailleurs comme de simples exécutants, sans initiative, et néglige la dimension humaine du travail. C’est précisément ce que va contester la deuxième grande école de pensée.
L’approche des relations humaines
Dans les années 1930-1950, le monde a changé : les grandes crises économiques, les tensions sociales et la montée du syndicalisme ont montré les limites du modèle purement productiviste. On commence à comprendre que la performance d’une organisation dépend aussi de la motivation, du bien-être et de la participation des individus.
Dans l’usine Hawthorne (Illinois), Elton Mayo et ses collaborateurs réalisent une série d’expériences destinées à mesurer l’effet de différents facteurs (éclairage, pauses, salaire) sur la productivité. Résultat inattendu : quelle que soit la variable testée, la productivité augmente ! Pourquoi ? Parce que les ouvrières observées se sentent valorisées et écoutées. Ce phénomène sera connu sous le nom d’effet Hawthorne.
Mayo conclut que les relations sociales, la reconnaissance et la communication jouent un rôle déterminant dans la motivation au travail.
Cette expérience fit l'effet d'une bombe, peut-être davantage dans le milieu universitaire qu'en entreprise. S'en suivirent, après guerre, la théorie des besoins de Maslow, les études sur les motivations de McGregor ou encore celles de Herzberg sur la satisfaction au travail. Ces recherches sur le facteur humain sont parfois regroupées sous la bannière de théorie des besoins et des motivations.
Dans cette logique, le contrôle de gestion change de visage. Il ne s’agit plus seulement de surveiller, mais aussi de motiver et d’impliquer. Apparaissent alors de nouveaux outils : la direction par objectifs (DPO), la direction participative par objectifs (DPPO)... Les systèmes de récompenses et de sanctions deviennent plus transparents. Le contrôle devient un moyen de donner du sens, de responsabiliser les salariés et de créer de la cohésion autour de la performance collective.
Mais cette approche a aussi ses limites. Elle reste centrée sur les relations internes à l’entreprise, sans prendre en compte l’environnement externe, pourtant de plus en plus instable. C’est ce que la théorie des systèmes va corriger.
L’approche systémique : l’entreprise comme système ouvert
Dans les années 1950-60, les sciences de la vie, de la physique et de la cybernétique influencent la pensée en gestion. On commence à voir l’entreprise non plus comme une machine isolée, mais comme un système complexe, ouvert sur son environnement.
Les biologistes comme Ludwig von Bertalanffy montrent que tout système vivant doit maintenir un équilibre interne tout en s’adaptant à son environnement.
Transposée à l’entreprise, cette idée conduit à voir l’organisation comme un ensemble de sous-systèmes (production, finance, RH, etc.) en interaction constante.
Pour éviter le désordre (l’entropie), le système met en place des mécanismes de régulation. Il capte des informations, les compare aux objectifs et ajuste ses actions.
C’est exactement le rôle du contrôle de gestion : mesurer, comparer, corriger. Celui-ci devient un instrument de pilotage global. Il permet de suivre l’ensemble des activités (plans, budgets, tableaux de bord), d’assurer la cohérence entre les différentes fonctions et d’aider à la décision face à un environnement incertain. Le contrôle statique devient dynamique, inspiré de la cybernétique : observer, analyser, ajuster en continu.
Cette vision systémique apporte plusieurs innovations conceptuelles.
- L’idée d’interdépendance entre les fonctions
- La reconnaissance d’un environnement incertain
- L’importance de la circulation de l’information
- La place du contrôle comme outil d’équilibre et d’apprentissage.
C’est une vision beaucoup plus réaliste de l’entreprise moderne, mais encore un peu abstraite pour la prise de décision concrète. C’est pourquoi une quatrième approche va chercher à préciser les mécanismes du choix et de l’action…
L’approche décisionnelle : rationalité limitée et prise de décision
À partir des années 1960, les chercheurs comme Herbert Simon, Cyert et March s’intéressent à la manière dont les individus prennent des décisions dans les organisations.
Contrairement à l’hypothèse économique classique où l’individu est parfaitement rationnel et informé, Simon montre que les décideurs disposent d’informations incomplètes, de temps limité et de capacités cognitives restreintes. Les individus ne cherchent pas la solution optimale, mais une solution satisfaisante. C’est le principe de la rationalité limitée.
Les entreprises sont alors vues comme des systèmes de décisions imbriquées, où chaque niveau (opérationnel, tactique, stratégique) prend des choix en interaction avec les autres.
La coordination devient donc un enjeu central et les outils de gestion doivent aider à structurer la prise de décision. Dans ce cadre, le contrôle de gestion est conçu comme un système d’information et de régulation. Il ne sert plus seulement à comparer le réel au prévu, mais à fournir des données utiles à la décision et à aider à l’apprentissage organisationnel. Le contrôle ex post (après coup) permet de mesurer les écarts, mais le plus important devient la préparation de la décision ex ante : scénarios, simulations, prévisions.
C’est la base des approches contemporaines du pilotage stratégique et du management par la performance.
Évolution des structures organisationnelles
Les théories de l’organisation ne sont pas que des abstractions. Elles influencent directement la manière dont les entreprises se structurent.
- Dans la logique rationnelle et productive, la structure est hiérarchique et fonctionnelle (organigramme en râteau). Chaque fonction (production, finance, RH, etc.) a son rôle et le pouvoir est centralisé.
- Dans la logique des relations humaines, on introduit des structures plus souples, avec des équipes, des groupes de projet, des mécanismes de communication horizontale…
- Dans la vision systémique, on privilégie les structures en réseau et la coordination transversale.
- Dans la vision décisionnelle, on développe des structures matricielles, où les responsabilités sont partagées selon les projets et les produits.
