Les avantages du libre-échange

Raisons des échanges internationaux

Vous ne pouvez pas prétendre avoir une culture économique si vous ignorez la théorie des avantages comparatifs de Ricardo. Sa compréhension est une sorte de passage obligé, en terminale comme en première année d’économie.

Nous vous proposons ici un historique des principales théories sur le commerce international (dont la fameuse !).

 

Les premiers économistes

Entre le milieu du quinzième siècle et le milieu du dix-huitième, la doctrine dominante voulait que le commerce international serve avant tout à accumuler de l’or. Ce but devait être atteint en favorisant les exportations et en limitant les importations. En France, cette politique que l’on nomme aujourd’hui mercantiliste a été conduite par Colbert au cours de la seconde moitié du dix-septième siècle.

Colbert
Elle était interventionniste (droits de douane, aides de l’État aux manufactures…) mais aussi colonialiste.

L’Écossais Adam Smith s’opposa à cette théorie qui, concrètement, impliquait un protectionnisme généralisé. L’idée de se partager un stock mondial d’or, où ce que gagne l’un, l’autre le perd, ne correspondait plus aux réalités de la fin du dix-huitième siècle. Smith démontra que le libre-échange était une condition essentielle de la croissance. Pourquoi ? Parce qu’il est plus économique pour un pays d’importer ce qui lui coûterait plus cher à produire. C’est la théorie des avantages absolus.

Pour prendre un exemple évident, il est plus économique pour la Belgique d’importer des ananas que d’en produire sous serre.

Quarante ans plus tard, après avoir fait fortune à Londres, David Ricardo prolongea la théorie du libre-échange en allant plus loin que Smith. Il introduisit le système des avantages comparatifs.

 

Les avantages comparatifs

Pour l’expliquer, l’exemple qu’il a trouvé est devenu un incontournable des manuels d’économie. Donc nous ne le contournerons pas. Il en existe plusieurs versions. D'ailleurs, elle est présentée de façon légèrement différente en page de spécialisation.

L’une d’elle consiste à comparer les heures de travail nécessaire pour produire une unité de drap et une unité de vin dans deux pays, l’Angleterre et le Portugal, dans les deux situations : protectionnisme et libre-échange. Nous vous laissons imaginer le volume que peuvent représenter ces unités.

En Angleterre, il faut 120 heures de travail pour produire une unité de vin et 100 pour une unité de drap. Au Portugal, 80 heures suffisent pour une unité de vin contre 90 pour une unité de drap.

draps

Si l’on s’en tient à la théorie de Smith, l’Angleterre ne doit rien produire. Elle a intérêt à acheter ses draps et son vin au Portugal. Remarque importante, il n’y a pas forcément assez de main d’œuvre au Portugal pour satisfaire à la fois la demande intérieure et les exportations ! De plus, si cet avantage absolu du Portugal se vérifie sur une grande quantité de produits, alors l’Angleterre qui suivrait les préceptes de Smith ne produirait plus rien et s’appauvrirait ! Mais ce n’est pas sur cet argument de long terme que repose la théorie des avantages comparatifs.

Dans une situation d’autarcie, ou dans celle d’une Angleterre accrochée à une vieille politique mercantiliste, celle-ci utiliserait 220 heures pour produire une unité de chaque. Pour la même production, le Portugal n’a besoin que de 170 heures de travail. La main d’œuvre des deux pays est entièrement consacrée à produire quatre unités.

Dans cet exemple, la différence est très sensible sur le vin, beaucoup moins sur les draps. Étudions le cas où le Portugal produirait tout le vin et l’Angleterre tout le drap.

En Angleterre, les 220 heures sont entièrement consacrées à produire des draps. Ainsi, par une règle de trois, on en conclut qu’elle produit 2,2 unités de draps. Le Portugal dépense ses 170 heures à produire du vin. Donc \(\frac{170}{80} = 2,125\) unités de vin. Total : 4,325 unités de produits. La spécialisation et le libre-échange ont conduit à une augmentation générale de la production. CQFD.

Une question reste en suspens : qui profite du surplus ?

C’est John Stuart Mill qui apporta la réponse bien plus tard, en 1848, avec sa théorie des valeurs internationales.

Selon lui, c’est la loi de l’offre et de la demande qui fixe un prix relatif (donc indépendant de la monnaie) entre l’unité de vin et celle de drap. C’est ce prix qui fixe les quantités échangées entre les deux pays, elles-mêmes déterminant les bénéfices.

D’après Mill, l’échange bénéficierait davantage aux pays pauvres puisque la demande des pays riches est plus élevée, ce qui entraîne de leur part une production plus importante, tandis que celle des pays riches augmente moins, limitée par le pouvoir d’achat des pays pauvres importateurs. Un processus très optimiste et démenti par la réalité. En effet, de nombreux facteurs sont ignorés : progrès technologique, pays détenteur du capital, etc.

 

Le modèle HOS

Surtout, il existe une différence importante entre les productions. Certaines réclament beaucoup de capital, d’autres beaucoup de travail.

Deux économistes suédois se sont penchés sur ce problème. Il s’agit d’Eli Filip Hecksner et de son élève Bertil Ohlin, « Nobel d’économie » en 1972.

Selon eux, chaque pays possède une combinaison de travail disponible, de capital (machines, transports, sources d’énergie…) mais aussi de terres (le secteur primaire était le grand absent des théories précédentes). La « dotation factorielle » qu’il possède en abondance est peu chère par rapport aux autres.

Par exemple, comparée à certains pays d’Asie, la France présente une proportion assez forte de capital par rapport à la main d’œuvre.

Supposons une situation d’autarcie. La France doit produire elle-même des objets qui requièrent beaucoup de main-d’œuvre (vêtements, chaussures, jouets…). Leur coût de production sera très élevé et répercuté sur leur prix de vente. La consommation diminuera drastiquement !

Conclusion : chaque pays doit se spécialiser dans le mode de production qui lui est favorable.

Cette théorie a été prolongée en 1941 par Paul Samuelson et Wolfgang Stolper. C’est pourquoi on parle de modèle HOS. Ils ont introduit un élément supplémentaire : la qualification de la main d’œuvre.

Globalement, la main d’œuvre des pays les plus développés est plus qualifiée que celle des pays en voie de développement.

Par conséquent, une production qui nécessite une main d’œuvre peu qualifiée se délocalise dans les pays plus pauvres où les salaires sont plus bas. Le commerce international est donc une menace pour l’emploi des travailleurs peu qualifiés des pays développés. Ceci peut sembler évident aujourd’hui mais n’oublions pas que ce que nous observons au vingt-et-unième siècle a été annoncé pendant la seconde guerre mondiale !

 

Prolongements de Paul Krugman

Nous pourrions en rester là mais c’était sans compter sur l’enfant terrible de la science économique, l’Américain Paul Krugman (né en 1953).

Nous remarquons tous que la réalité est très éloignée des vieilles théories. Des pays économiquement proches s’échangent des produits intrabranches, par exemple des voitures entre la France et l’Allemagne, alors que cette situation serait jugée absurde par les anciennes théories. Le commerce international ne se fonde donc pas sur les spécialisations (même si elles existent ici ou là).

D’abord, Krugman a étudié les concentrations d’activités proches (par exemple à la Silicon Valley) qui permettent des économies d’échelle.

On observe un peu partout ces spécialisations, qui s’expliquent par des raisons géographiques ou historiques (l’industrie diamantaire à Anvers, le cresson en Essonne…). Il existe dans ces lieux des infrastructures et un savoir-faire qui leur sont propices.

La théorie de Krugman ne s’appuie donc pas sur des dotations factorielles figées puisque les économies d’échelle impliquent une baisse des coûts, donc un avantage supplémentaire. La concentration peut dès lors apparaître comme bénéfique à l’activité économique mais aussi se traduire par la formation d’oligopoles. Là aussi, Krugman innove puisque sa pensée ne se situe pas dans un monde idéal de concurrence pure et parfaite. Le modèle HOS est bel et bien dépassé.

Enfin, les goûts des consommateurs sont eux aussi pris en compte. Il est naturel que des Allemands achètent des voitures françaises et réciproquement (différenciation des produits).

 

commerce impossible