L'évaluation des actions par les dividendes

Modèles de Durand et de Gordon-Shapiro

S’attaquer à certains chantiers peut faire penser au combat de Don Quichotte contre les moulins à vent. La détermination du juste prix d’une action est l’un d’eux. Quelques téméraires se sont néanmoins emparés du sujet.

Ainsi, des modèles qui appliquent les mathématiques financières se fondent sur les dividendes à venir. On devine tout de suite les limites… Les plus évidentes sont que les hypothèses sur ces dividendes seront sûrement périlleuses et que les sociétés qui ne versent jamais rien à leurs actionnaires échappent à l’analyse. Par la suite, nous évoquerons d’autres écueils.

 

Le modèle de Durand

Ce premier modèle intègre des hypothèses sur les dividendes à venir et sur le prix de revente estimé au bout de \(n\) années.

Il s’agit d’un calcul actuariel « basique ». Le prix de l’action en date 0 est égal, pour un taux d’actualisation \(k,\) à :

\[{P_0} = \sum\limits_{i = 1}^n {\frac{{{D_i}}}{{{{(1 + k)}^i}}} + } \frac{{{P_n}}}{{{{(1 + k)}^n}}}\]

Le prix est noté \(P\) et les dividendes \(D_i.\) On suppose que l’action est revendue l’année \(n.\)

L’intérêt du modèle, c’est qu’on peut s’affranchir du prix de revente \(P_n\) et considérer des flux infinis de dividendes. Ceci n’implique pas que l’action ne sera jamais revendue.

En effet, le prix d’achat d’un titre en 2010 peut être décomposé en dividendes sur 5 ans et en prix de revente en 2015. Mais comme le prix de 2015 sera lui-même décomposable en dividendes à venir et en prix de revente, on peut mathématiquement raisonner sur l’infini. Ça ne change rien au prix de 2010…

\[{P_0} = \sum\limits_{i = 1}^\infty {\frac{{{D_i}}}{{{{(1 + k)}^i}}}} \]

 

Le modèle de Gordon et Shapiro

Partons du modèle précédent et ajoutons une hypothèse, celle d’un taux de croissance constant des dividendes (on l’appellera \(g\)). Bien sûr, c’est très théorique. Mais comme ce modèle est simple, il est largement utilisé. L’important est alors de ne pas prendre une simple indication pour une certitude à venir.

Notre \(P_0\) s’écrit alors ainsi :

\[{P_0} = \sum\limits_{i = 1}^\infty {{D_1}\frac{{{{(1 + g)}^{i - 1}}}}{{{{(1 + k)}^i}}}} \]

Cette formule est très jolie mais on peut la remodeler de façon inquiétante… Ci-dessous, elle est transformée en série :

\[{P_0} = \frac{{{D_1}}}{{1 + k}}{\sum\limits_{i = 1}^\infty {\left( {\frac{{1 + g}}{{1 + k}}} \right)} ^{i - 1}}\]

En quoi cette série d’apparence inoffensive est-elle inquiétante ? Parce qu’on voit bien qu'elle ne CONVERGE que si \(k > g\) (il est évident que sinon, c’est à un nombre supérieur à 1 qu’on applique une puissance infinie). On arrive donc à ce constat paradoxal : le modèle ne fonctionne que sur des actions dont le taux de croissance des dividendes est inférieur au taux d’actualisation. Bien qu’il y ait des exceptions, de telles actions ne constituent pas souvent l’affaire du siècle…

On démontre que, pour éviter la fastidieuse tâche d’additionner à l’infini :

\[P_0 = \frac{D_1}{k - g}\]

C’est cette égalité qui résume le modèle de Gordon et Shapiro.

 

Exercice

La société G&S Inc. décide d’implanter des restaurants de sushis dans toutes les stations balnéaires de l’Antarctique. Tablant sur la forte appétence des manchots pour le poisson cru, le directeur financier estime que l’activité permettra un doublement des dividendes en cinq ans. Le dernier dividende versé s’établissait à 10 dollars.

manchot

Question 1 : quelle est l’augmentation annuelle des dividendes ?

Réponse 1 : un doublement se traduit par un coefficient multiplicateur de 2. La racine cinquième de 2 est égale à 1,1486. L’augmentation annuelle moyenne s’établit donc à \(14,86\%\) (c’est une moyenne géométrique). On aurait aussi pu utiliser la formule de rentabilité logarithmique.

Question 2 : on estime qu’après ces cinq années fastes, le dividende ne progressera que de \(5\%\) par an. Un investisseur souhaite une rentabilité de \(16\%,\) considéré comme taux d’actualisation. À quel prix accepte-t-il d’acheter des actions de G&S ?

Réponse 2 : il faut calculer d’une part le prix sur les 5 premières années à l’aide d’un calcul actuariel habituel (comme si les actions étaient revendues au terme de ces 5 ans) et d’autre part le prix obtenu par la formule de Gordon-Shapiro entre la sixième année et l’infini. Remarquez que le prix auquel l’action s’échange aujourd’hui n’apparaît pas dans nos calculs et qu’il n’est même pas donné dans l’énoncé du problème.

\[{P_0} = 10\sum\limits_{i = 1}^5 {{{\left( {\frac{{1,1486}}{{1,16}}} \right)}^i} + \frac{{{P_5}}}{{{{1,16}^5}}}} \]

Le premier partie de la formule, qui se rapporte aux cinq premières années, nous donne une valeur de $48,545.

Le second terme, celui de la revente, fait intervenir la formule de Gordon et Shapiro qui permet de connaître \(P_5.\) Pour cela, on doit déterminer \(D_6.\)

Dans 6 ans, le dividende devrait s’établir à \(20 × 1,05 = $21.\)

Donc, \(P_5 = \frac{21}{0,16 - 0,05} = 190,91.\) La seconde partie de la formule est donc égale à \(\frac{190,91}{1,165} = 90,89.\)

Par conséquent, \(P_0 = 48,55 + 90,89 = 139,44\) dollars.

On remarque que non seulement le taux de croissance attendu doit être strictement inférieur au taux d’actualisation, mais qu’il doit aussi ne pas en être trop proche afin que le prix prévu ne soit pas complètement délirant.

 

action d'éclat